
Isabelle Basile-Doelsch, directrice de recherche à l’INRAE et basée au CEREGE, s’intéresse depuis plusieurs années à la dynamique du carbone dans les sols, un enjeu central pour la compréhension du climat et la sécurité alimentaire mondiale. Son projet NanoCLICS, soutenu par une bourse prestigieuse ERC Advanced Grants, propose un nouveau regard sur les mécanismes de stabilisation du carbone organique dans les sols.
Alors que les sols constituent le plus grand réservoir terrestre de carbone organique, le détail de la manière dont ce carbone peut être stocké durablement reste encore mal compris. C’est précisément cette complexité que le projet NanoCLICS cherche à explorer, en combinant observation manométrique, expérimentations et modélisation.
Comprendre la stabilisation du carbone dans les sols
Le sol est une véritable usine naturelle où la matière organique issue principalement des racines est fragmentée et transformée par une multitude d’organismes vivants, notamment vers, bactéries et champignons. Ce processus produit à la fois du dioxyde de carbone (CO2) relâché dans l’atmosphère et des composés organiques qui peuvent rester dans le sol pendant des durées très variables, allant de quelques heures à plusieurs milliers d’années.
Le principal mécanisme reconnu jusqu’à présent pour expliquer cette conservation du carbone est la protection assurée par la matière minérale du sol. Les surfaces minérales serviraient de bouclier en empêchant la dégradation microbienne des molécules organiques.
Cependant, cette théorie classique repose sur un modèle de surfaces minérales parfaitement ordonnées sur lesquelles la matière organique se dépose en couches successives. Or, cette hypothèse n’a jamais pu être directement validée par des observations sur des sols naturels, notamment dans des environnements volcaniques riches en carbone.

© Friedlingstein
Les nanoCLICS, une structure nanométrique réactive

Face à cette absence de confirmation, une hypothèse alternative et plus proche des conditions naturelles des sols : ce ne sont pas des surfaces minérales parfaites mais des structures irrégulières, issues de l’altération naturelle des minéraux, qui jouent un rôle central dans la stabilisation du carbone.
Ces assemblages manométriques, qu’Isabelle nomme nanoCLICS (nanosized coprecipitates of inorganic oligomers with organics), sont composés d’assemblages d’atomes de fer, silicium, aluminium et autres éléments, liés à la matière organique dans une structure tridimensionnelle complexe et très réactive.
Cette nouvelle représentation ouvre la voie à une meilleure compréhension des processus chimiques et physiques qui rendent possible le piégeage durable du carbone dans le sol.
Illustration d’un nanoCLICs formé des métaux (Fe, Si, Al) issus de l’altération des roches (polyèdres violet, bleu et jaune) associés au carbone (en grisé). © Tamrat, Basile-Doelsch et al. 2019
Un projet pluridisciplinaire au service de la transition écologique
Le projet NanoCLICS a pour ambition d’étudier ces assemblages dans dix sols européens représentatifs, en associant systématiquement un sol cultivé à un sol moins perturbé comme une forêt ou une prairie. Pour cela, des techniques issues des nanosciences permettront d’observer et de caractériser ces structures à une échelle inédite. En laboratoire, des colonnes remplies de sols artificiels et de plantes serviront à suivre la formation, l’évolution et la destruction des nanoCLICS en conditions contrôlées. Par ailleurs, un travail de modélisation sera mené pour quantifier l’impact de ces structures sur la dynamique globale du carbone dans le sol. Au-delà de la recherche fondamentale, ces résultats pourraient déboucher sur des applications concrètes, telles que l’amélioration des pratiques agricoles afin d’augmenter la séquestration du carbone dans les sols, contribuant ainsi à la lutte contre le changement climatique. De plus, mieux comprendre ces interactions pourrait aussi offrir de nouvelles perspectives sur la nutrition des plantes, en éclairant leur relation avec le sol.

Quantité totale de carbone organique des sols (TOC) dépend de leur situation géographique (composition des roches dont ils sont issus, climat, conditions environnementales, végétation…) et varie en fonction de la profondeur.
Doté de 2,5 millions d’euros, ce financement ERC permettra d’avancer significativement sur ces questions dans les cinq prochaines années. Grâce aux résultats attendus, la compréhension scientifique de la dynamique du carbone dans les sols pourra être enrichie, ouvrant ainsi la voie à une possible révision des modèles actuels de prévision du changement climatique. Enfin, en caractérisant précisément les nanoCLICS sur différents types de sols, cette recherche offrira de nouvelles perspectives pour préserver et renforcer la fonction essentielle des sols dans l’équilibre environnemental de la planète.