Alors que le changement climatique s’intensifie, l’European Marine Board (EMB) a publié ce mois-ci la Future Science Brief n°13 pour évaluer les activités de capture du CO₂ marin (en anglais, marine Carbone Dioxide Removal, ou mCDR). Coprésidé par Olivier Sulpis, chargé de recherche au CEREGE, le rapport alerte sur le fait qu’aucune technique n’est actuellement prête pour un déploiement à grande échelle. Il souligne la nécessité de protocoles robustes de monitoring, reporting et vérification (MRV) afin de mesurer la capture de CO₂, sa durée de stockage et ses impacts environnementaux, avant toute action sur ce milieu complexe qui absorbe déjà un quart des émissions mondiales de CO₂.
Des méthodes inspirées de la nature, mais encore expérimentales
Les activités de capture du CO₂ marin étudiées pour retirer du CO₂ dissous de l’eau de mer incluent l’alcalinisation de l’océan, la fertilisation par des nutriments ou des algues, et la conversion du CO₂ dissous en biomasse. Toutes reposent sur des processus naturels, mais à des échelles très différentes de celles sur lesquelles ils ont historiquement fonctionné. Leur efficacité, leur durabilité et leurs effets sur les écosystèmes restent incertains.
Science et régulation : établir des standards pour le CO₂ océanique
Le rôle de la science est de fournir un cadre objectif. « Notre travail ne consiste pas à décider si le mCDR doit être déployé, mais à déterminer quelles preuves et quelles garanties sont nécessaires pour que toute décision soit responsable », explique Olivier Sulpis dans l’interview publié dans le CNRS Le Journal. Parmi les recommandations prioritaires figurent la mise en place de standards MRV harmonisés, le financement d’études sur l’efficacité à long terme et les impacts environnementaux, et la pérennisation des réseaux d’observation permettant de suivre les modifications du carbone océanique.
DOI | ©Michael Sswat, GEOMAR
Du laboratoire aux océans : mesurer et modéliser le cycle des carbonates
Ces travaux s’appuient sur l’expertise développée au sein du laboratoire exoCean au CEREGE, qui étudie le cycle carbonaté océanique de la surface aux grands fonds. Le projet ERC DEEP-C, piloté par Olivier Sulpis, se concentre sur la dissolution du carbonate de calcium (CaCO₃) dans les eaux profondes, un processus naturel qui agit comme puits de CO₂ sur des échelles de temps millénaires. Grâce à des réacteurs à haute pression, des capteurs avancés et des modèles biogéochimiques globaux, DEEP-C permet de mieux comprendre les mécanismes naturels et les interactions microbiennes qui contrôlent la séquestration du carbone. Ces connaissances sont directement utiles pour définir les protocoles MRV et évaluer la faisabilité des techniques mCDR.
En somme, la capture du CO₂ océanique est un champ prometteur mais incertain. Elle ne peut compléter la lutte contre le changement climatique qu’en s’appuyant sur une recherche rigoureuse, des protocoles transparents et une observation continue, conditions indispensables pour protéger les océans tout en éclairant les décisions politiques et sociétales.